Sex, drugs and COVID
Dans l’épisode 1 de la série « LE MONDE CHANGE », le CEIP-Addictovigilance de Paris a pu constater l’adaptation urgente des structures de prise en charge des addictions pour venir en aide aux usagers précaires. Mais qu’en est-il des autres usagers ? Qu’en est-il de ceux qui cumulent l’addiction aux drogues avec une addiction au sexe ? Qu’en est-il des travailleurs du sexe ?
Les substances psychoactives et la sexualité peuvent être intimement liées. Dans le contexte du confinement, à la peur du manque et de la pénurie des substances peut s’ajouter, le manque de la sexualité. Quels sont les conséquences du confinement sur la disponibilité des produits et la sexualité ? Comment ces manques sont-ils gérés?
Le CEIP-Addictovigilance de Paris a réalisé un point sur les adaptations relayées par les associations et les usagers.
Disponibilité des produits
Le site psychoactif et son forum rapportent des prix augmentés pour le cannabis (X2) et des deals sur internet via les réseaux sociaux (snapchat, instagram…). Certains dealers se déplacent et livrent sur des zones restreintes du fait du confinement. Des usagers adoptent le darknet afin d’être livrés par la poste.
Sur les sites de rencontre, l’association Playsafe évoque une hausse des prix et des deals sous rendez-vous avec des quantités minimales imposées.
Monsieur D, chemsexeur en cours de sevrage, rapporte la création d’un nouveau groupe whatsapp de vente de produits à destination des chemsexeurs depuis le confinement : les usagers rapportent une hausse de prix et notamment de la 3MMC de 30€ à 40 ou 50€ le gramme.
Le deal s’adapte et la vente par Internet se démocratise. Ce système de vente pourrait perdurer à la fin de l’épisode du COVID-19 et changer durablement la « science du deal ».
Le Break forcé
Certains l’appellent « sevrage forcé », d’autres « sevrage non souhaité » mais il s’agit bien d’un break. La période du confinement n’est certainement pas la meilleure période pour s’arrêter et là encore l’adaptation est « imposée ». Le confinement a permis pour beaucoup une prise de conscience de la place du produit dans leur fonctionnement. Les lignes d’écoute comme drogues info service, les téléconsultations mises en place par les services de prise en charge addictologique forment des aides potentielles pour traverser cette période. Un transfert possible notamment vers l’alcool doit être surveillé. Il semble que les usagers de cannabis (3eme substance psychoactive la plus consommée en France), soient ceux qui doivent faire face aux plus grandes difficultés d’approvisionnement et faire preuve de la plus grande adaptabilité (absence de substitut, tension avec l’entourage confiné). Le monde change et pour mieux aider les usagers confinés, Drogues Info Service a multiplié ses possibilités de « chat » : car en confinement, entourés de ses proches, il est plus difficile de parler à voix haute de ses consommations.
Applications de rencontre (Tinder, Happn, bumble, Grinder, etc…) et COVID-19
Distance sociale est le maître mot à l’heure actuelle. Les applications de rencontre n’ont pas attendues pour se saisir de ce concept et le faire savoir à leurs abonnés. Des notifications « push » sont envoyées avec des messages comme «On reste en ligne : pas de « dates » en personne. Pour l’instant, restez chez vous » ou encore « Social distancing doesn’t have to mean disconnecting ». D’autres messages surfent sur l’humour et présentent le confinement comme un allié pouvant faire monter le désir (« Tout vient à point à qui sait attendre. Restez chez vous. Votre patience sera récompensée »). D’autres encore, envisage le confinement comme l’occasion de découvrir les autres autrement (« Let ‘s carry on loving, but differently »).
Des applications de rencontre ont étendu leur réseau de chat par-delà les frontières en proposant une option « passeport » permettant aux abonnés de se parler dans le monde entier. L’idée reste la même : rompre l’isolement généré par le confinement.
Certains sont plus timorés dans leur prévention et partagent uniquement les directives de santé publique dans un lien.
Sexualité et confinement
Le monde change et ce qui était dans la norme hier ne l’est plus aujourd’hui. Les effets du confinement sont multiples et la perte de la libido peut en faire partie. Mais pour certains, l’effet inverse peut survenir avec un craving au sexe. La distance de sécurité liée au COVID impose une adaptation. Sex en solo, sextos, et sex tape mais aussi films X en ligne sont érigés au rang d’une sexualisation qui ne met pas à mal les gestes barrières. Imagination, sensualité, sextoys et webcam forment les outils de cette sexualité de confinement. Basculons-nous dans un monde où la rencontre physique et le toucher n’existe plus ? Assistons-nous à la libération E-sexuelle où le chantage aux sextapes sera révolu ..?
Chemsex et confinement
Les chemsexeurs dans leurs recherches de produits et de partenaires ne sont pas dans une « dynamique » de confinement. La peur du manque, le risque de l’overdose, sont présents à juste titre. Dans ce contexte inédit, il faut éviter la rupture du suivi de la santé sexuelle. Les CEGIDD et le centres PREP se sont adaptés pour continuer en téléconsultation à suivre les patients. Le 190 nous rappelle que les cas d’urgences (symptômes d’IST…) continuent d’être accueillis et que les nouveaux patients peuvent être reçus.
Le SPOT continue l’accompagnement des chemsexeurs et transforme ses séances « Chill out » en sessions virtuelles sur « Life size ».
Deux groupes sont distingués : le groupe avec abstinence « choisie » et un autre pour lequel cette abstinence est « subie » du fait des mesures de confinement. Le premier groupe évoque une plus grande facilité à résister à l’appel des produits quand le « monde est arrêté ». Certains se sentent libérés de l’ « injonction sociale » à l’hyperactivité sexuelle, ou déclarent avoir totalement perdu leur libido. D’autres en revanche évoquent un craving important en lien avec l’impossibilité d’accéder aux outils anti-craving pendant la période de confinement (sortie entre amis, cinéma, sport, voyage…). Certains participants évoquent aussi qu’ils doivent gérer des messages sur Grindr « très pushy, très pressants, de mecs les invitant à baiser avec ou sans produit, et qui peuvent être très convaincants ».
Monsieur D rapporte quant à lui, l’aide de la musique : il joue du piano pendant le confinement. Ces séances de musique l’aideraient à dépasser le sentiment de manque.
Enfin, la peur d’une rechute à l’issu du confinement est souvent redoutée, ainsi que les risques qui l’accompagnent (overdose du fait de la levée de la tolérance…).
Le SPOT, soucieux de protéger la confidentialité des échanges utilise une application sécurisée (conversations cryptées avec impossibilité de vente de données personnelles, visioconférence obligatoire pour empêcher les enregistrements). Cet outil a permis de dépasser les frontières régionales et a ouvert l’accès à ces séances à de nombreux usagers isolés (campagnes…)… un bénéfice qui pourrait perdurer par-delà le confinement.
Travailleurs du sex (TDS) et confinement :
Pour ces travailleurs la situation est plus compliquée. La rencontre sexuelle est leur métier, représentant pour certains, leur unique source de revenu. Certains se sont convertis dans les sextapes, d’autres ont cessé leur activité. Une banque alimentaire à été mise en place pour venir en aide aux TDS (hommes, femmes, transsexuels). Mais certains jugent ces mesures insuffisantes et déplorent devoir reprendre leur travail. Un travail « doublement illégal et du même coup doublement stigmatisé » en cette période de pandémie.
Le COVID et les mesures de confinement ont accéléré le basculement vers un monde virtuel. La toile du Net prend plus que jamais son sens et permet à ce monde confiné de rester connecté. Toutes les activités sociales sont touchées : E-travail, E-santé, E-rencontres, E-sexualité… mais aussi E-trafic, E-prostitution.
Les tendances de consommation, transformées de fait par le confinement (disponibilité variable des produits, nouveaux groupes sociaux…), pourraient perdurer au-delà de la période de l’épidémie du COVID.
Ce changement de paradigme nécessite une vigilance toute particulière, une vigilance qui doit elle-même resté connectée. Dans ce contexte, les sciences sociales et marketing sont appelées à participer à la E-prévention. En 2019, le CEIP-Addictovigilance de Paris, en partenariat avec l’association PLAYSAFE, a mené plusieurs campagnes d’e-prévention disruptives. Ce travail doit plus que jamais se poursuivre dans ce nouveau monde 100% virtuel.
Remerciements au SPOT AIDES, au 190, à l’association PlaySafe, au témoignage de Monsieur D.
Liens utiles : cartographie des risques des cathinones de synthèse