Les risques liés à la consommation des boissons énergisantes
Le marché des boissons énergisantes (BE) a connu un essor considérable ces dernières années. Ces boissons sucrées, contenant de la caféine comme principal ingrédient, sont consommées pour leurs propriétés dites stimulantes, tant sur le plan physique qu’intellectuel. L’Agence nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) a publié en Septembre 2013 une expertise sur les boissons énergisantes [1].
Les boissons « énergisantes »
L’appellation « boissons énergisantes » est une appellation commerciale et ne se réfère à aucune définition réglementaire (ex : Red Bull°, Monster°). Elle désigne tout produit (boisson ou concentré liquide) contenant un mélange d’ingrédients ayant la propriété de rehausser les niveaux d’énergie et de vivacité : caféine, vitamines, guarana, etc.
Les boissons « énergétiques »
Les boissons énergétiques répondent à la réglementation des produits diététiques et de régime et sont destinées à répondre au besoin d’un effort musculaire intense. Elles ont une composition nutritionnelle adaptée à la pratique d’une activité sportive (ex. : Gatorade®, Powerade®). Leur but principal est de compenser les pertes hydriques et d’apporter l’énergie nécessaire à un effort (sels minéraux et formule glucidique adaptée). Les boissons pour sportifs ne contiennent pas de caféine ni d’autres ingrédients stimulants et ne sont pas gazéifiées.
Le marché français des boissons énergisantes
Les boissons énergisantes regroupent une variété de marques, de saveurs, et de formats. Ces boissons sont vendues le plus souvent en canettes (250 ml) mais aussi en bouteilles et en petits flacons sous forme de liquide concentré. En 2012, on recensait 120 variétés de BE sur le marché français [2]. Le distributeur autrichien Red Bull° représentait 41,8% des ventes, malgré le développement permanent de nouveaux distributeurs. Les produits Monster° et Burn° occupaient le reste du marché.
En raison de la diversité des BE, il n’est possible de décrire que de façon sommaire la composition typique d’une boisson énergisante communément retrouvée sur le marché. Lorsque la composition quantitative des principales substances d’intérêt est disponible (moins de 50% des BE), on constate que les teneurs en caféine et en taurine varient du simple au double parmi les BE étudiées, alors que celles en glucuronolactone varient d’un facteur 10 selon les boissons considérées :
– La teneur en caféine varie de 12 à 32 mg/100mL
– La teneur en taurine varie de 250 à 410 mg/100mL
– La teneur en glucuronolactone varie de 24 à 240 mg/100mL
Taux moyen de présence des substances d’intérêt dans les BE commercialisées sur le marché français en 2012
Propriétés des principaux ingrédients des boissons énergisantes
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Caféine
La caféine est un alcaloïde appartenant à la famille des méthylxanthines. Elle est naturellement présente dans plus de 60 plantes, comme le café, le thé, la noix de kola, le guarana et le maté. Après ingestion, la caféine est rapidement et complètement absorbée. Ses concentrations plasmatiques maximales sont généralement atteintes entre quelques minutes et 60 minutes après ingestion. Elle est métabolisée par le foie. Son élimination et celle de ses métabolites se font par voie urinaire.
La caféine agit principalement comme antagoniste compétitif des récepteurs de l’adénosine de type A1. Ce neuromodulateur limite la libération des principaux neurotransmetteurs excitateurs. Ainsi, l’inhibition de ces récepteurs par la caféine entraîne :
– Une accélération du rythme cardiaque avec possibilité de palpitations
– Une psychostimulation avec augmentation de la vigilance et parfois de l’anxiété.
– Une augmentation de l’éveil (augmente le délai d’endormissement, sommeil moins profond, diminution du seuil de réveil).
– Des effets vasoconstricteurs cérébraux (propriétés d’anti-migraineux à doses faibles et modérées).
– Une bronchodilatation (effet antagoniste de la bronchoconstrition chez l’asthmatique)
– Une stimulation respiratoire par action centrale bulbaire (utilisation thérapeutique dans la prévention de l’apnée du nouveau-né)
Les effets observés suite à la consommation de caféine sont très variables d’un individu à l’autre (effets physiques et psychostimulants). Cette variabilité interindividuelle rend difficilement appréciable les doses journalières à ne pas dépasser pour préserver l’état de santé d’un individu. Une tolérance vis-à-vis de la caféine peut se développer lors de consommations répétées de boissons à base de caféine. Le seuil de tolérance d’un individu peut varier fortement selon des facteurs génétiques (variants génétiques codant pour les protéines impliquées dans le métabolisme et/ou l’action de la caféine) et non génétiques (âge, grossesse, situation pathologique, consommations associées – tabac, alcool, médicaments). Bien que le risque soit faible, une dépendance physique et psychologique à la caféine peut se développer à la suite d’un usage chronique et induire des symptômes de sevrage après l’arrêt de la consommation (céphalées, fatigue, irritabilité, difficulté de concentration).
La caféine se retrouve en quantités très variables dans plusieurs aliments et boissons offerts sur le marché. Elle constitue l’ingrédient actif principal des boissons énergisantes, auxquelles elle est ajoutée en raison de ses propriétés stimulantes.
Tableau : Teneur en caféine de différentes boissons (Rapport Anses 2013)
La quantité de caféine présente dans une canette de BE équivaut à la consommation de deux tasses de café expresso.
Apport quotidien maximal de caféine recommandé (Santé Canda 2011) [3]
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Taurine
La taurine est un dérivé d’acide aminé soufré naturellement présent dans le corps humain. On la retrouve dans l’ensemble des tissus mais plus particulièrement dans le cerveau, la rétine et le myocarde. Elle est également présente dans l’alimentation et dans les compléments alimentaires. Cet acide aminé semble avoir de nombreux effets physiologiques dont les mécanismes nécessitent d’être d’avantage étudiés.
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Glucuronolactone
La glucuronolactone est un dérivé du métabolisme hépatique du glucose. Lorsqu’elle est ingérée, la D-glucurono-lactone est rapidement absorbée, métabolisée et excrétée sous forme d’acide glucarique, de xylitol et de L-xylulose. Ses effets et ses propriétés propres ne sont pas connues.
Contexte et modalités de consommation des boissons énergisantes
D’après l’enquête de surveillance des consommations de BE en France, un quart des consommateurs de BE ont moins de 25 ans et 60% sont des hommes. Parmi ces consommateurs, 32 % déclarent avoir consommé des BE au moins une fois par semaine. Les BE sont majoritairement consommées en dehors du domicile (73% des cas), dans un contexte festif puisque 39 % des consommateurs déclarent en consommer en soirées, 18 % dans les bars ou restaurants, 18 % lors de concerts et 12 % en discothèque.
Analyse des risques liés à la consommation des boissons énergisantes
Malgré la popularité des boissons énergisantes, il n’existe que peu d’études sur les effets possibles de la consommation régulière ou occasionnelle de ces produits sur la santé. Afin de caractériser les dangers associés à la consommation de BE, l’Anses a recensé les effets indésirables liés à la consommation des boissons énergisantes enregistrés depuis leur commercialisation en 2008. Les principaux symptômes déclarés sont essentiellement cardiovasculaires (tachycardie, hypertension artérielle), neuropsychiatriques (crises convulsives, troubles du sommeil, anxiété, psychose) et gastro intestinaux (reflux gastro-oesophagien). [4]
En l’état actuel des connaissances, ces effets indésirables pourraient être attribués à la caféine, en association à des prédispositions individuelles ou à des modalités de consommation particulières (alcool, activité sportive, grossesse, pathologie associée). Quelques éléments suggèrent néanmoins des effets additionnels possibles d’autres composés des BE comme la taurine, qui nécessitent d’être mieux documentés.
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Consommation de BE et consommation d’alcool
D’après l’enquête française de surveillance des consommations de BE, 16 % des consommateurs de BE les mélangent à des boissons alcoolisées au moins de temps en temps, dont 33 % souvent ou toujours. Le mélange est le plus souvent fait par les plus jeunes : 22 % chez les moins de 35 ans, 13 % chez les 35-54 ans et 10 % chez les plus de 55 ans. Cependant, les 35-54 ans sont les plus nombreux à faire le mélange souvent ou systématiquement.
Le dispositif de Nutrivigilance a montré que 27% des effets indésirables impliquaient la prise concomitante de BE et d’alcool. Des effets indésirables de types psycho comportementaux et des troubles digestifs ont été rapportés avec ce type de consommation. L’alcool peut également potentialiser les troubles du rythme cardiaque induit par la caféine. L’association de substances aux propriétés diurétiques (caféine, alcool, possiblement taurine) augmenterait le risque de déshydratation, surtout dans un contexte festif (danse, chaleur).
D’autre part, lors de la consommation conjointe de BE et d’alcool, la caféine semble réduire la perception de l’intoxication alcoolique avec une sensation de fatigue diminuée ou une sensation d’excitation accrue, ce qui favorise des situations à risque dues à une surestimation par la personne de ses aptitudes (poursuite de la consommation d’alcool, conduite automobile, rapport sexuel non consenti, coup et blessure physiques, prise de substance psychoactives).
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Risques liés aux boissons énergisantes chez des groupes particuliers
Les femmes enceintes : elles représentent une population à risque, en raison des risques de retard de croissance fœtale et d’avortement spontané liés à la caféine. La consommation de BE doit également être limitée chez la femme qui allaite.
Les enfants et les adolescents : les BE sont un nouveau mode de consommation de caféine dans cette population. Elles représenteraient 15% de l’apport en caféine chez les enfants français (Efsa 2013). Les enfants et les adolescents ont une sensibilité plus importante aux effets de la caféine et présentent des risques accrus d’intoxication et de survenue d’effets indésirables liés à la caféine par rapport à l’adulte : troubles du sommeil, fatigue, somnolence. Ces effets peuvent affecter les capacités cognitives et les performances scolaires.La consommation précoce de ce type de boisson, pourrait sensibiliser les enfants et adolescents au développement ultérieur de conduites addictives soit à la caféine, soit à d’autres produits (alcool, tabac), en leur faisant découvrir précocement les effets psychotropes et en les exposants à la recherche de sensations et de performances. La précocité de l’âge du début de la consommation d’une substance addictogène constitue l’un des facteurs associés les mieux établis vis-à-vis du risque de conduite addictive ultérieure.
Le sportif : 41% des consommateurs de BE consomment ces boissons en lien avec une activité sportive (enquête Anses 2011). Cependant, ces boissons ne sont pas formulées pour répondre aux besoins physiologiques liés à la pratique d’activité physique. D’après le dispositif de Nutrivigilance, 4% des effets indésirables surviennent chez les sujets ayant consommé des BE dans le cadre de la pratique sportive. La consommation de BE, à haute teneur en sucre, pendant des exercices physiques peut entraîner des troubles digestifs et hydro-électrolytiques (déshydratation). De plus, la caféine altère les processus de thermorégulation, induisant une augmentation de la température corporelle.
Les personnes sensibles aux effets de la caféine ou présentant certaines pathologies: risques accrus d’événements indésirables de type cardio-vasculaires (troubles du rythme, hypertension artérielle sévère, angor instable), troubles psychiatriques et neurologiques (épilepsie), insuffisance rénale ou encore maladies hépatiques.
L’Anses recommande aux consommateurs de modérer leur consommation de boissons caféinées et souhaite mettre en œuvre des mesures d’information des publics sensibles (adolescents, femmes enceintes, sportifs). L’Anses note également l’émergence au niveau international de politiques publiques visant à encadrer le marché des BE (Canada, Etats-Unis). La FDA a estimé que le statut GRAS (Generally recognized as safe) de la caféine quand celle-ci est ajoutée à des boissons alcoolisées n’était pas reconnu. [5] Un meilleur encadrement de la composition des BE et de leur étiquetage serait plus favorable à un usage sécuritaire de ces produits. Les stratégies de marketing entourant les boissons énergisantes soulèvent certaines préoccupations; leur impact sur les habitudes de consommation est à l’étude.
Sources :
[1] Rapport ANSES Septembre 2013 – Les boissons énergisantes : http://www.anses.fr/fr/content/boissons-%C3%A9nergisantes
[2] Données obtenues par Oqali (Observatoire de l’alimentation, section nutritionnelle, données collectées en 2009-2010), base GNPD (Global New Products Database) – innovations produits en France de 1997 à 2012 et Kantar Worldpanel – volumes vendus par référence produit (données 2009-2010).
[3] Institut National de Santé Publique du Québec : http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1167_boissonsenergisantes.pdf?bcsi_scan_628cd39dca2568d2=0&bcsi_scan_filename=1167_boissonsenergisantes.pdf
[4] Les cas déclarés proviennent du dispositif de nutrivigilance 2009/2012, de la toxicovigilance et des centres anti-poison (CAP).
[5] http://www.fda.gov/food/populartopics/ucm341968.htm
Image: Psychomedia.qc.ca